Navigation
Recherche
|
Test de Red Dead Redemption 2 : entre tour de force et chemin de croix
mercredi 28 novembre 2018, 18:50 , par NoFrag
Pour une personne dont l’enfance a baigné dans les westerns spaghettis de Sergio Leone, ayant attribué un statut divin au maestro Ennio Morricone et espérant contre vents et marées une véritable fin à la série Deadwood, la proposition de Red Dead Redemption 2 ressemble à un rêve de gosse. En effet, le dernier né de Rockstar veut être un véritable parc d’attraction dans un univers Far West fantasmé dans lequel le joueur évolue comme bon lui semble. Le jeu pouvant être joué intégralement en vue FPS, il a sa place sur NoFrag. Malheureusement il n’est sorti que sur consoles: nous avons donc enfilé nos gants les plus hermétiques pour pouvoir vous en rapporter un test à la bourre d’un mois, certes, mais justement élaboré avec recul et à l’abri du barouf médiatique.
Red Dead Ambition L’histoire de RDR2 se déroule quelques années avant celle du premier opus. Nous jouons Arthur Morgan, membre d’un groupe de hors-la-loi recherché activement par les Pinkerton (le FBI de l’époque) qui tient un peu de la cour des miracles à la sauce Western: des rebuts de la société s’y retrouvent, hommes, femmes, enfants, cherchant à tout pris une liberté qui, à petit feu, disparaît avec l’industrialisation massive qui transforme le pays. Car, à l’instar des films Mon nom est personne et L’homme qui tua Liberty Valance, Red Dead Redemption 2 se déroule au crépuscule de l’Ouest Sauvage, alors même que les machines à vapeurs côtoient les derniers cowboys et que les portes-flingues légendaires sans foi ni loi n’existent qu’à travers de vagues souvenirs et autres histoires que l’on se raconte au coin du feu. Cette nostalgie correspondant à la fin d’une ère, la confrontation entre les derniers hommes de l’ancien monde et la civilisation galopante donne une identité toute particulière au jeu et à son univers. Et quel univers! Si le jeu est visuellement superbe, bourré d’effets de lumières, d’ombres calculées en temps réel, de brouillard épais, de végétation touffue et d’effets météo impressionnants, c’est dans ses détails et sa profondeur qu’il excelle. Tout semble véritablement vivant, cohérent, crédible: des forêts remplies de faune sauvage s’éparpillant au passage de notre héros aux villes boueuses abritant trappeurs, prostituées et mendiants, le monde de Red Dead Redemption 2 donne l’illusion de ne pas attendre les actions du joueur et semble avoir son existence propre. C’est là que réside, en partie, le tour de force réalisé par Rockstar sur ce jeu. Non seulement tous les personnages ou presque ont leurs lignes de dialogues, mais ils semblent agir comme de vrais habitants de cette Amérique profonde avec leurs propres intérêts. Tout l’inverse des mondes ouverts habituels, dans lesquels des automates servant de décors n’attendent que le passage du joueur pour tourner en rond avant de se désactiver à nouveau. Suivez donc ce chasseur anonyme, croisé au détour d’une balade en forêt, pour le voir traquer et abattre sa proie, l’embarquer sur son canasson et l’amener à la boucherie la plus proche, écoutez cette femme se plaindre à grand cri que son mineur de mari rentre tous les soirs en toussant à cause de la suie, regardez ces paysans se réunissant à la nuit tombée pour boire leur maigre paie quotidienne en se racontant des histoires. Rockstar est bien conscient de la qualité de son univers et il en a fait le véritable héros du jeu, jusque dans sa proposition de gameplay. Prenant à contre-pied ce qu’on pourrait attendre d’un AAA, Red Dead Redemption 2 n’est pas un jeu bourré d’action au rythme extrêmement soutenu. Il est au contraire rempli de temps morts, vous impose de prendre votre temps et de contempler ce qui vous entoure. Le confort des mondes ouverts modernes, permettant d’aller à l’essentiel en un instant n’est pas présent. Il n’existe pas ou presque de voyage rapide, le HUD est minimal, n’affichant qu’une carte désactivable et de discrètes informations nécessaires comme les munitions ou la vie: tout est fait pour pousser votre attention sur ce qui vous entoure lors de vos longs voyages, que vous écoutiez les dialogues des PNJ lors de vos passages dans leurs campements et que vous admiriez les créatures sauvages que vous croiserez. À vue de nez, vous passerez la moitié du temps de jeu à cheval, à simplement avancer sur les routes entre deux missions ou événements aléatoires. Red Dead Redemption 2 est en réalité un jeu majoritairement contemplatif et il excelle vraiment dans ce domaine: jamais je n’ai pris autant plaisir à ne pas être actif dans un jeu vidéo et à me laisser porter par ce qui entourait mon personnage. Red Dead Redemption 2 propose énormément de contenu, qu’il s’agisse de missions secondaires, de rencontres fortuites, de mini-jeux (poker, domino, etc.), de défis (chasse, pêche et autres actions spécifiques) ou de collectibles à ramasser. Au final, si l’histoire principale en elle-même prend environ une soixantaine d’heures à compléter, il vous faudra bien deux cents heures minimum si vous tentez le 100%. Le tout est servi par une narration de très grande qualité: non seulement le scénario est intéressant, mais la galerie de personnages présentés est excellente, y compris dans les missions secondaires. Outre les gueules cassées qui composent notre groupe de hors-la-loi, notre héros rencontrera une tripotée de personnages hauts en couleurs, chacun ayant quelque chose à raconter sur le monde dans lequel il évolue. Quant à Arthur Morgan, on s’attache très vite à ce personnage au début patibulaire mais qui s’avère fondamentalement humain. Le ton global du jeu est nettement moins comique et parodique que ce qu’on trouve dans les précédentes productions Rockstar: ici, nous sommes dans un drame teinté, à l’instar du personnage principal du jeu, de cynisme et d’un humour pince-sans-rire. Le jeu vous laissera parfois choisir entre une bonne ou une mauvaise action mais restera, globalement, très linéaire et vous suivrez le déroulement du jeu au gré des missions principales. Red Dead Déception Seulement, Red Dead n’est pas qu’un simulateur de promenade à dos de cheval, il cherche aussi à proposer des affrontements capables de rassasier notre soif de sang: après tout, nous incarnons une brute, un porte-flingue, un hors-la-loi sans foi ni loi qui tuera des centaines de personnes le long de son aventure. Et c’est bien malheureux, car ces gunfights sont complètement ratés. Le système de combats imposera à votre personnage de trouver une couverture derrière laquelle il deviendra quasi-invincible. Dans le cas contraire, il sera une cible facile et crèvera extrêmement vite. Cela donne des combats à la fois beaucoup trop faciles et soporifiques lorsqu’ils sont statiques – le héros et ses adversaires étant cachés derrière des caisses ou autres éléments de décors en attendant qu’une tête dépasse – et d’autres affrontements à dos de cheval en plaine quasi-impossibles à résoudre sans spammer la touche de bullet time ou ses objets de soin. Pire, le système de visée et de tir lui-même est incroyablement lourd à utiliser: il faut d’abord orienter la caméra à peu près sur un adversaire, appuyer sur L2 (ou LT) pour le cibler, réajuster la mire pour tirer vers sa tête, attendre que le cercle de visée se rétrécisse et enfin tirer, si tant est que vous ayez déjà réarmé votre fusil à verrou car dans le cas contraire il faudra tout recommencer. Il est aussi possible de se passer complètement du ciblage en activant la visée libre, mais la visée à la manette est trop handicapante pour que cela rende le gunplay agréable. S’il existe une vue FPS, elle n’est vraiment praticable que lors d’affrontements en intérieur et reste inutilisable la plupart du temps – c’est pourquoi vous ne trouverez pas beaucoup de screenshots en vue FPS. Pour ceux qui trouveraient comme moi les combats en TPS insupportables, il existe toutefois une option intitulée “mode FPS” permettant de les rendre plus acceptables. N’oubliez pas également de désactiver la “zone inactive de la caméra”. Voici en image ma propre configuration optimale, ensuite libre à vous de bidouiller la sensibilité et les différents niveaux d’assistance à la visée jusqu’à trouver ce qui vous correspond le mieux. Les combats, aussi nuls soient-ils, ne sont pourtant que la partie émergée d’un iceberg de mauvais gameplay effleurant la catastrophe industrielle. En effet, chaque action, chaque mouvement, chaque animation de notre personnage devient un calvaire tant ils sont incroyablement lourds, lents et peu réactifs. L’incroyable manque de précision du gameplay nous force à faire attention à chacun de nos pas pour éviter de créer involontairement des situations peu désirables, par exemple en rentrant de plein fouet dans le premier loubard venu qui n’hésitera pas à sortir son flingue. Cela donne l’impression de jouer un héros en permanence saoul comme une barrique et frôle le cauchemar éveillé lorsqu’il faut ramasser un objet placé à côté d’autres. Mention spéciale à la tente d’Arthur, recelant de munitions et d’autres objets interactifs accessibles uniquement au pris de contorsions incroyables du joystick. Il faut bien comprendre que tout ceci est dû au système d’animation procédurale: les mouvements des différents objets et personnages sont déterminés par un ensemble de règles mathématiques utilisant notamment le moteur physique. Cela conduit à plus de réalisme que les animations pré-calculées habituelles mais, ici, ça pose aussi de gros problèmes de maniabilité. Et ce n’est pas du pinaillage: ça en devient vraiment irritant après la vingt-cinquième fois où votre canasson aura fait un vol plané suite à une collision avec une souche de cinq centimètres de haut ou après avoir été obligé de fuir une ville et de payer une prime injuste causée par une bousculade involontaire à la sortie d’un magasin. Ci-dessous, vous découvrirez comment lire une lettre posée sur une table en 20 secondes! Aussi, si Red Dead Redemption 2 propose un monde incroyablement détaillé bourré d’activités et de possibilités, on a l’impression que les différents systèmes offerts par le jeu ont été réfléchis et développés chacun de leur côté sans tenir compte les uns des autres. Un exemple: après avoir chassé un animal, on doit regarder une cinématique impossible à passer montrant Arthur dépeçant la bête. Pendant ce temps le monde continue de tourner, y compris en ce qui concerne les rencontres aléatoires avec des bandits. Ainsi il m’est arrivé de me retrouver totalement impuissant, regardant mon personnage récupérer tranquillement la fourrure d’un cougar qu’il venait d’abattre tandis que des criminels – arrivés alors que l’animation était déjà lancée – lui tiraient dessus jusqu’à ce que mort s’ensuive. Autre exemple: à défaut d’un véritable système de voyage rapide, le jeu propose le mode Cinématique dans lequel notre personnage et son cheval vont avancer vers le point indiqué par le joueur en étant dirigés par l’IA. Cela permet, lors de longs voyages, de poser la manette et de profiter des différents plans de caméra aériens. Seulement, l’IA s’embrouille parfois les pinceaux en rencontrant des PNJ sur la route, ce qui peut créer des collisions aux conséquences dramatiques comme des conflits armés et une prime sur la tête du joueur qui ne voulait pas ça. Comme si les développeurs s’étant chargé du mode Cinématique n’avaient pas prévu le système de réputation et de prime ou tout simplement le déplacement de PNJ sur la map. Dernier point grotesque et irritant: les touches changent parfois pour la même action, selon le positionnement du joueur ou l’objet en question. Parfois ouvrir un placard se fera avec la touche carré et ramasser les objets qui sont dedans se fera avec triangle, parfois ce sera l’inverse, parfois appuyer sur carré ramassera un cadavre au lieu de l’objet posé à côté… Il y a tellement d’interactions et de possibilités d’actions qu’on dirait presque que les développeurs ont abandonné l’idée de réfléchir à un schéma de contrôles cohérent. Red Dead Réception Red Dead Redemption 2 est donc un jeu imparfait, rempli d’aberrations et de facettes incompréhensiblement datées pour un jeu de cet acabit, ayant nécessité des années de développement et un budget pharaonique. Des travers qui deviennent très vite agaçants, m’ayant parfois poussé à ragequiter purement et simplement une session de jeu après un énième meurtre involontaire. Pourtant… malgré ces défauts évidents, il reste un jeu couillu, qui ose aller à l’inverse de ce qui se fait dans l’industrie sur des projets de cette ampleur. En proposant un jeu plus basé sur la contemplation, la patience et la découverte que sur l’action pure et dure, en abordant des thématiques difficiles de façon pas forcément manichéenne, en osant écrire des personnages variés s’avérant parfois véritablement lucides sur la moralité des actions que nous accomplissons à travers eux et en proposant un scénario qui tiendra en haleine jusqu’à un final poignant. Bref, s’il est loin d’être célesto-cosmique, s’il est difficile de passer outre son gameplay honteux, Red Dead Redemption 2 propose néanmoins une expérience originale qui peut parfois atteindre des sommets lorsqu’elle ne tombe pas plus bas que terre: à chacun, donc, de voir s’il trouvera en arpentant son monde incroyablement vivant quelque chose qui le poussera à aller plus loin que ses défauts majeurs. Pour moi ce fut le cas – même si le voyage fut ponctué de frustration. Je conclurai ce test avec un petit mot sur le traitement médiatique de Red Dead Redemption 2 dans la presse JV lors de sa sortie: comme souvent avec des jeux de cette importance, nous avons pu voir à nouveau une espèce de fête du clic dans laquelle chaque site ou revue essayait de profiter de l’engouement médiatique pour le titre. Cette espèce de foire d’empoigne partagée entre ce que je qualifierais de représentants presse officiels, ces rares journalistes élus par Rockstar pour pouvoir toucher le jeu en avance et qui ont donné des notes incroyablement hautes et dithyrambiques en mettant sciemment de côté les défauts du jeu, et les autres, qui se sont empressés de torcher des tests à la va-vite pour publier le plus rapidement possible quand ils ne se vautraient pas dans la presse à scandale volontairement trompeuse et mensongère pour gratter du clic, a encore été un témoignage criant de l’état ridicule du journalisme JV. Il va peut-être falloir commencer à se remettre en question, les gars. Red Dead Conclusion Aussi titanesque et profond que bancal et aberrant, Red Dead Redemption 2 est un jeu exceptionnel dans le sens où il s’agit d’une expérience véritablement unique. Un colosse aux pieds d’argile qui a énormément à offrir si l’on arrive à passer outre la frustration induite par ses immenses et pesants défauts: son univers grandiose, sa galerie de personnages évocateurs et son histoire touchante laisseront leur marque dans l’esprit des joueurs qui arriveront à se laisser porter par le jeu. Pour les autres, il ne faudra pas plus d’une heure pour qu’il soit détesté et rejoigne le bac à occaz’ du Micromania du coin. Coté technique Le test a été rédigé à partir de la version PS4, tournant sur une PS4 Pro branchée à un écran 4K. Si le jeu stagnait généralement à 30 images par seconde, il subissait parfois des chutes de framerate lors des traversées des villes les plus peuplées. Idem sur une PS4 classique en 1080p. Nul doute que ces soucis techniques seraient résolus lors d’une éventuelle sortie sur PC Master Race…
https://nofrag.com/2018/11/28/125020/
|
56 sources (32 en français)
Date Actuelle
ven. 22 nov. - 02:36 CET
|